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François Burgat : « Notre relation au monde musulman a toujours eu quelque chose de passionnel »

16 Mars 2012 Par Université citoyenne…
L’Université citoyenne reçoit François Burgat lors du second rendez-vous consacré aux révolutions arabes. Entretien.

Spécialiste du monde arabe contemporain et de l’islamisme, François Burgat a vécu plus de dix-huit ans au Maghreb, au Proche-Orient et dans la péninsule arabique. Il dirige l’Institut français du Proche-Orient à Damas. Installé depuis quelques mois à Beyrouth, il a répondu au Journal depuis la capitale libanaise.

Pourquoi fait-on souvent une confusion entre islam et islamisme ?
En Europe, ce chevauchement entre une appellation qui désigne toute une communauté de religion et de culture et un terme qui a une portée clairement stigmatisante, rappelle que notre relation au monde musulman a toujours eu quelque chose de passionnel, qu’il se trouve de l’autre côté de la Méditerranée ou au sein de notre société. «Le musulman» c’est en fait, pour la plupart d’entre nous (il n’en va pas de même bien sûr pour nos compatriotes musulmans), «l’autre» par excellence. Or notre relation au monde musulman est passée du registre très unilatéral et assez peu anxiogène de la domination coloniale sans limites à quelque chose d’un peu moins inégalitaire, où «l’autre» réclame désormais sa part de reconnaissance, politique et culturelle. Ce moment de notre histoire a donc logiquement quelque chose de très déstabilisant. De surcroît, au lieu de désamorcer ces tensions et ces malentendus, les moins scrupuleux des hommes politiques les cultivent à des fins électoralistes.

En Syrie, faut-il parler de révolution, de guerre civile ou de conflit ethno-confessionnel ?
Je pense que les trois qualifications se superposent. Un régime très autoritaire et décidé à employer tous les moyens pour se maintenir, a tout fait pour transformer en conflit ethno-confessionnel une révolution qui était dans un premier temps pacifique et laïque. Il a malheureusement en partie réussi. La brutalité de la répression a nourri un processus de contre-radicalisation et de vendetta. Certains épisodes – tel l’assaut à l’arme lourde contre un quartier de Homs où s’étaient réfugiés des déserteurs et des civils en armes constitués en «armée libre» – relèvent bien désormais du registre de la guerre civile. Celle-ci a quelquefois des tonalités confessionnelles, la communauté alaouite étant plus étroitement associée que les autres au régime. Cette confrontation est ensuite complexifiée par des acteurs régionaux (Iran, Turquie, Qatar, Arabie saoudite) et internationaux (Russie, Chine, France, Etats-Unis…) dont les analyses de la crise et des possibilités d’en sortir sont diamétralement opposées. La lecture intérieure de la crise (la répression d’un «printemps arabe») est opacifiée par la contre-lecture régionale, celle d’une attaque des puissances occidentales et de leurs alliés arabes conservateurs contre l’un des derniers membres du «front du refus» à l’ordre israélo-américain dans la région. La légitimité indiscutable de la révolte populaire est ainsi en partie masquée par le soutien que lui apportent des acteurs hautement illégitimes dans la région. Cette complexité interdit de faire aujourd’hui un pronostic, surtout optimiste. Une seule chose est sûre : les Syriens des deux camps paient chaque jour un prix de plus en plus élevé à la violence et à la dégradation économique et humanitaire dans lesquelles leur pays s’enfonce.

Propos recueillis par Laëtitia Soula