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Ofer BRONCHTEIN : Que le Sud se « nordise » et que le Nord se « méditerranise »

La réalité de l’espace méditerranéen est fragile

La Méditerranée est le berceau des trois monothéismes, la source croisée de l’Histoire juive, chrétienne, et arabo-musulmane. C’est le lieu par excellence de retrouvailles entre l’Orient et l’Occident. Pourtant son développement actuel relève d’une vaine promesse : les sommets du 13 juillet 2008 à Paris, et de Barcelone en 2004, ont  suscité de grands espoirs mais ni les partenaires, ni les moyens politiques et financiers, ne furent au rendez-vous. Si nous souhaitons que l’espace méditerranéen se réalise, et c’est un vœu que je formule ici avec force, il faudra conjuguer les volontés au temps de l’action et faire émerger un partenariat équilibré, entres régimes stables et légitimes, fondés sur l’Etat de droit, et propageant des valeurs communes, avec et pour leurs peuples. En effet, les grands absents de cette coquille vide que fut l’UpM sont les sociétés civiles, et en particulier les jeunes et les femmes. La construction de l’espace méditerranéen ne devrait pas être l’apanage des seuls hauts fonctionnaires européens, mais gagnerait à intégrer tous les acteurs concernés.

Le projet euro méditerranéen répond à des besoins réels et urgents

Les difficultés de la crise que nous traversons ne pourront être surmontées que par un regain de solidarité, et par une politique fondée sur les valeurs de liberté, d’égalité, et de fraternité. L’idée d’euro méditerranée permettra de donner des réponses concrètes à des problèmes graves si l’on parvient à se diriger vers plus de justice sociale à l’intérieur des pays, et à un meilleur équilibre entre eux. Le décalage entre les régimes démocratiques et  autoritaires, les immenses disparités entre riches et pauvres, entre hommes et femmes, ne nous permettrons pas d’atteindre nos objectifs. A nous donc d’encourager le vent de liberté qui continue à souffler, non sans peine, sur l’espace méditerranéen ; à nous de soutenir les revendications pour plus de justice.

Existe-t-il une identité méditerranéenne ?

Oui bien sûr, c’est une identité aux facettes multiples. Elle est historique, politique, culturelle, religieuse, voire climatique et gastronomique – les habitants de la rive sud consomment  plus d’huile d’olive que les Suédois ou les Ecossais. Jérusalem, Athènes, Rome, Cordoue ou Avignon, sont quelques preuves flagrantes et extraordinaires de notre héritage commun.

Chaque rive est caractérisée par son Histoire propre, son climat, ses langues particulières, forgeant des identités singulières mais aussi une communauté de destins.  L’enjeu est de créer des synergies, des brassages, des échanges, en matière de culture, d’économie, de pédagogie, afin que le Sud se « nordise » et que le Nord se « méditerranise ». On ne peut pas du jour au lendemain demander à un Danois ou à une Luxembourgeoise de se sentir méditerranéen, à un Egyptien ou une Syrienne d’adopter les coutumes et les habitudes d’un Irlandais ou d’un Polonais. Chacun doit préserver sa singularité et son héritage, tout en s’ouvrant aux autres. L’identité méditerranéenne peut être sublimée au-delà des différences et des différends entre les deux rives, en permettant à chacun de s’exprimer tout en partageant des valeurs universelles, celles des droits de l’Homme et de la démocratie.

Quelles complémentarités et quelles disparités percevez vous entre les deux rives ?

Les disparités entre les pays des deux rives mais aussi à l’intérieur des pays, sont avant tout économiques et sociales. Des écarts de développement persistent : le taux d’alphabétisation est proche de 100% dans les pays de l’Union européenne alors qu’il oscille encore entre 50 et 80% dans les pays du Maghreb ; il en va de même pour l’accès à internet : le taux de pénétration stagne autour de 15% en Algérie ou en Syrie, voire il n’est que de 5,5% en Libye, tandis que la moyenne européenne tourne autour de 60%. Quant aux complémentarités, elles sont multiples : les valeurs de la famille, de la communauté, la spiritualité, les richesses naturelles sont autant d’éléments que le Sud de la Méditerranée pourrait apporter au Nord. Les droits de l’Homme, la démocratie, la protection sociale, les avancées technologiques, les savoir-faire industriels, pourraient inspirer la rive Sud. Les pays de la rive Sud sont émergents ou en voie d’émergence, ils sont donc caractérisés par une croissance soutenue, une démographie galopante. Ceci constitue une opportunité pour les pays de la rive Nord : de nouveaux débouchés, un potentiel de nouveaux marchés avec lesquels échanger et, bien sûr, un exemple à suivre en terme de démographie – les pays du Nord souffrant de leur caractère vieillissant.

Les révolutions arabes modifient la perception de cet ensemble méditerranéen

Quelle belle leçon de liberté, de courage et de dignité nous offrent les jeunes de la place Tahrir, de Tunis de Tripoli ou de Homs ! Ce mouvement historique n’en est qu’à ses prémisses, et la route sera certainement longue et périlleuse, mais il est de notre devoir de le soutenir, et de l’encourager. L’émergence de démocraties dans la rive Sud de la Méditerranée modifiera nécessairement la perception de l’ensemble méditerranéen, qu’on ne pourra plus considérer comme l’affrontement de deux mondes en déséquilibre, mais comme un lieu de coopération d’égal à égal. Même à Tel Aviv ou à Madrid, les jeunes descendent dans la rue pour faire entendre leurs voix et exiger plus de justice sociale. Les révolutions arabes bouleversent la donne car elles introduisent la possibilité de changements rapides et inattendus dans la région et une rupture avec les schémas passés : nous n’avons pas observé de drapeaux américains ou israéliens brûlés. Ce n’est plus l’Occident que les populations accusent, mais ce sont leurs régimes corrompus et dictatoriaux qu’elles remettent en cause.

Imaginer que du printemps arabe naitront des démocraties calquées sur le modèle occidental est une arrogante vue de l’esprit. Chaque Etat construira une démocratie singulière, correspondant à ses besoins, son histoire, et sa culture. La victoire de partis islamistes en Tunisie, en Egypte  au Maroc ou en Libye, est à suivre. Nouvelle tendance pour la région, ou simple détour ? De la réponse à cette question dépendra en partie l’avenir des relations entre les deux rives : vers une homogénéisation ou une accentuation des différences.

Développer les échanges culturels, moins de frontière pour plus de coopération

La grande cassure entre le Nord et le Sud est due à l’arrogance. Il faut que l’Europe accepte d’ouvrir graduellement ciel et mer pour le passage des personnes et des marchandises. Le drame des élites du Sud est qu’elles sont coupées de leurs pays : créer un Erasmus permettant à des milliers d’étudiants du Sud de venir se former en Europe et vice-versa, serait important : moins de frontières pour plus de coopération, c’est le premier de nos défis. Pourquoi ne pas instaurer l’arabe comme langue vivante en Europe au même titre que l’anglais, l’allemand ou l’espagnol ? Nous pourrions organiser dans divers lieux de l’espace méditerranéen, des groupes d’experts (politiques, économiques, culturels, religieux, scientifiques) venus de toute la zone et dont le travail aboutirait à des recommandations concrètes.

Il est nécessaire de créer une Banque Euro Méditerranée. Nous pourrions créer une taxe de 0.2 % sur toutes les transactions pétrolières, gazières, financières et sur les communications cellulaires. Sur le plan social, il est indispensable d’envisager la construction d’hôpitaux et d’écoles, mais aussi la numérisation pour tous les citoyens. Enfin, je crois que l’accent doit être mis sur la coopération décentralisée entres les villes, les collectivités locales, mais aussi les écoles, les universités, les centres de recherche, ou les musées. La liste de projets à bâtir ensemble est loin d’être exhaustive.

Donner des Smartphones à tous les jeunes pour abolir les frontières

L’Europe fut la plus belle création de la seconde moitié du XXème siècle, la nouvelle communauté Euro Méditerranée doit être celle de la première moitié du XXI siècle. Si j’en avais les moyens je commencerais par donner l’accès à internet à tous, et par distribuer des Smartphones à tous les jeunes, surtout les femmes, de la région. Je crois sincèrement que les technologies de communication sont la plus belle arme des nouvelles générations : plus aucune frontière ne peut leur être imposées. Nous sommes aujourd’hui à un carrefour : soit plus d’euro méditerranée ; soit plus de murs et un retour aux frontières, ce qui risquerait de nous mener à des conflits ou même à des guerres.

Qu’est ce que la Méditerranée pour vous ?

La Méditerranée, c’est mon ADN.

La France, Israël, la Palestine, la Tunisie, le Maroc, l’Algérie, l’Égypte, la Turquie, l’Espagne, ce sont mes racines, mon héritage, ma culture, mon identité. Né en Israël, Français par mon père né en Tunisie, j’ai grandi et vécu plus de la moitié de ma vie en France ; ma mère est née en Egypte, une de mes grands-mères est née en Turquie tandis que l’autre est algéro-marocaine ; mes grands-pères sont nés à Hébron ou à Tibériade sous l’Empire ottoman et d’une arrière-grand-mère russe. Descendant des juifs d’Espagne et détenteur d’un passeport palestinien, je crois que la relation euro-méditerranéenne doit être fondée sur : l’humilité, la solidarité, le pardon (avoir la force de demander pardon, d’assumer la responsabilité d’un passé colonial lourd et de s’en excuser, c’est une force, pas une faiblesse) et la générosité.

Ofer Bronchtein est ancien collaborateur d’Itzhak Rabin, de Miguel Angel Moratinos, ex ministre des affaires étrangères Espagnole  co-fondateur du Forum International pour la Paix et envoyé spécial du gouvernement auprès de l’Olp à Tunis. Mahmoud Abbas lui a remis un passeport palestinien en avril 2011.