Ofer Bronchtein : « Il est urgent d’empêcher l’embrasement en Cisjordanie »
Alors que la communauté internationale a les yeux rivés sur Gaza, les colonies s’étendent en Cisjordanie, alerte le président du Forum international pour la paix et la réconciliation au Moyen-Orient.
À Jérusalem, ce jeudi 30 novembre, un attentat a fait quatre morts et au moins cinq blessés. Les terroristes islamistes du Hamas ont revendiqué cette attaque dans un communiqué. Inspirés par «leurs succès» à Gaza, ceux-ci semblent déterminés à mettre le feu aux poudres en Cisjordanie, alors que des extrémistes juifs y ont intensifié leurs exactions contre les civils palestiniens en profitant d’un certain laxisme de l’armée israélienne.
Ces dernières semaines, alors que la communauté internationale a les yeux rivés sur Gaza, les colonies s’étendent sauvagement en Cisjordanie. Profitant du climat de frayeur qui s’abat sur la région, les colons font la loi. Ils profitent de la guerre pour établir de nouveaux avant-postes, construire des routes autour des colonies et les relier à d’autres habitations. Leur objectif ? Répandre la terreur et expulser les Palestiniens. Leurs moyens ? Incendies, vandalisme, passages à tabac, fusillades. Plus de 200 Palestiniens ont été tués depuis les attaques du 7 octobre, en grande partie par des colons. Le gouvernement israélien, loin de condamner ces actes, laisse carte blanche à ces extrémistes. Ces actes violents ouvrent pour Israël un front de guerre supplémentaire qui contribue au séisme en cours dans la région.
Au cœur des villes palestiniennes, le Hamas ne se cache plus. Au contraire, sa présence est visible et ostensible. Il est fier de son «succès» du 7 octobre. Au cours des dernières années, plusieurs villes de Cisjordanie ont été le théâtre d’une recrudescence de la résistance armée et ont subi les conséquences de celle-ci, à travers des séries de raids menés par les forces israéliennes. Ces interventions ont entraîné la mort de centaines d’individus, incluant à la fois des militants et des civils et ont contribué à l’augmentation du soutien des Palestiniens à des mouvements islamistes armés. La jeunesse palestinienne ne croit presque plus au Fatah et en l’Autorité palestinienne. Beaucoup qualifient le président Mahmoud Abbas de «traître» et affichent désormais leur soutien au Hamas. Dans les prochains mois, l’Autorité palestinienne va expérimenter des changements radicaux. Elle devra se réinventer pour contrer la montée du Hamas et offrir aux jeunes une plateforme d’action politique libérée de ses maux, de la corruption et de l’immobilisme. À ce titre, la libération de Marwan Barghouti, ancien chef de file d’une faction armée du Fatah, enverrait un signal fort. Il connaît bien la société israélienne. Il pourrait rassembler les factions palestiniennes et les mener vers des négociations difficiles mais prometteuses avec Israël.
De l’autre côté du Jourdain, le roi Abdallah II de Jordanie et son gouvernement sont fébriles : les actes de violence commis par les colons juifs à l’encontre des civils Palestiniens pourraient aggraver la situation conflictuelle et plonger la région dans une crise profonde. En Jordanie, dont la majorité de la population est d’origine palestinienne, l’inquiétude grandit face au risque d’une expulsion massive des Palestiniens de la Cisjordanie. En parallèle, les autorités tentent de maitriser la colère de la rue, où des dizaines de milliers de Jordaniens se mobilisent depuis le début des bombardements à Gaza. Le 11 novembre dernier, les forces de sécurité ont arrêté 25 hommes qui prévoyaient d’organiser un sit-in à proximité d’une mosquée située près de la frontière avec la Cisjordanie. Cette instabilité menace de fragiliser davantage les accords de paix déjà précaires existant entre Israël et les pays arabes, y compris celui avec la Jordanie, faisant craindre un effondrement de la normalisation diplomatique commencée il y a trois décennies.
Le feu menace de s’étendre en Cisjordanie. L’annonce irresponsable du ministre de l’Économie israélien sur la venue de travailleurs indiens pour remplacer les emplois palestiniens en Israël et dans les colonies, alors que ces derniers constituent une ressource vitale pour un million et demi de Palestiniens, suscite leur colère et la protestation des institutions financières. De grandes entreprises israéliennes commencent à licencier massivement. La fermeture des frontières et la suspension des permis de travail par Israël ont déjà conduit à une perte brutale de revenus pour des milliers de Palestiniens, dans un contexte où l’économie de la Cisjordanie connaît un fort ralentissement, exacerbé par les restrictions imposées par l’État israélien et les actes de violence perpétrés par certains colons.
Face au chaos, l’Autorité est perçue comme corrompue et impuissante, à tort ou à raison. À Ramallah, à Bethlehem, à Naplouse, les laïcs Palestiniens craignent la prise de contrôle de la Cisjordanie par le Hamas, ou une révolte. Une intifada pourrait détruire définitivement l’Autorité palestinienne. Son déclin compromettrait le soutien de l’Europe et des Américains. Israël a plus que jamais besoin de nous et des États-Unis, demandant un préjudice minimum pour les civils de Gaza et une stabilité maximale sen Cisjordanie. Malgré les préoccupations de la Maison-Blanche, le ministre des Finances israéliens Bezalel Smotrich a tenté de bloquer le transfert d’argent de taxes résidentielles à l’Autorité palestinienne, pour en allouer davantage aux colonies et aux nationalistes religieux. Le ministre Itamar Ben-Gvir, lui, appelle l’armée à utiliser à utiliser une force de destruction identique à celle de Gaza en Cisjordanie. Il est, avec un autre ministre, à l’initiative d’un débat au Parlement appelant à légaliser la peine de mort pour les terroristes, alors que des familles d’otages suppliaient le gouvernement de ne pas aborder ce sujet tant que leurs proches risquent la mort.
L’extrême droite israélienne cherche à affaiblir le régime, déjà précaire, de Mahmoud Abbas et mettre en difficulté le premier ministre Nétanyahou ainsi qu’une grande partie de son gouvernement. Son objectif: éliminer la possibilité, déjà lointaine, d’atteindre un accord de paix, la création d’un État palestinien, où les deux peuples vivraient en bon voisinage et en sécurité. Ce qui nécessiterait une Autorité palestinienne renouvelée contrôlant Gaza et la Cisjordanie ainsi qu’un gouvernement israélien épuré des éléments les plus radicaux et de ses alliés d’extrême droite.
L’extrême droite israélienne et le Hamas partagent un même objectif: provoquer la violence de l’autre. Encourager le chaos. Les juifs messianiques Israéliens, fous de Dieu, veulent l’apartheid ou l’expulsion des Palestiniens de Cisjordanie. Aujourd’hui, ces extrémistes arrivés au pouvoir dictent leur volonté. Au moment où les dirigeants occidentaux, Joe Biden et Emmanuel Macron en tête, appellent ouvertement à une solution à deux États, il est grand temps qu’en Israël on crève l’abcès de l’occupation qui sape, depuis 56 ans, le fondement moral de l’État et sa sécurité.
Ofer Bronchtein