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par Lisa Schirch et Karim Merchant

Londres – L’incident des Corans brûlés récemment par des soldats américains en Afghanistan, a engendré des émeutes et attisé la violence. Face à cette situation, le président Obama a présenté des excuses aux Afghans, et les responsables militaires sur place ont, pour leur part, annoncé que tous les soldats étrangers recevraient dorénavant des instructions pour gérer le matériel religieux. Mais cette crise montre qu’il faudrait procéder à un changement plus profond au sein de la mission des forces internationales et de la formation reçue par les militaires envoyés sur le terrain – un changement, qui d’ailleurs, ne se limite pas à l’Afghanistan et au retrait des troupes américaines.
Aux yeux des Afghans, qui ont connu les raids nocturnes et leur lot de victimes civiles, cet incident n’est pas une faute isolée; il s’ajoute simplement à un ensemble d’erreurs commises par les forces internationales, qui montre bien qu’un changement de fond s’impose. De nombreux sondages auprès de la population afghane, comme celui mené par l’Asia Foundation en 2011, révèlent que les Afghans se sentent humiliés culturellement, et que les forces militaires internationales leur font peur. D’ailleurs, ils perçoivent la présence de celles-ci plutôt comme une invasion qu’une aide. Néanmoins, le retrait de ces forces et la résurgence des Taliban les inquiètent.

Les Afghans souhaiteraient que la mission internationale soit restreinte à protéger les civils, soutenir la gouvernance participative et permettre le développement des relations diplomatiques. Cette mission s’accomplirait graduellement, indépendamment du cycle des élections américaines. Elle remplacerait les objectifs actuels, axés sur la lutte contre le terrorisme et l’élimination des insurgés, qui ne s’attardent pas sur les sensibilités culturelles de la population et sur sa sécurité.

Si les forces internationales avaient eu une préparation et une mission visant à gagner la confiance de la population afghane et à la protéger, elles auraient sans doute à ce moment-là, réfléchi à la réaction des Afghans face à l’incinération de leur livre saint – acte considéré comme irrespectueux dans beaucoup d’autres cultures. Le geste du militaire afghan qui s’est apparemment vengé contre les forces américaines, le 23 février dernier, pour avoir rabaissé sa religion est une des conséquences concrètes de ce manque de sensibilité.

Les Taliban font des adeptes parmi la population en arguant que les forces internationales ne se soucient aucunement du bien-être des Afghans, et qu’en plus elles s’attaquent à leur religion. Les recherches montrent de manière systématique que les Taliban embrigadent de nouveaux membres, non pas en prônant des croyances religieuses extrémistes, mais en misant sur le sentiment d’outrage et d’humiliation face au comportement des forces internationales.

L’entraînement militaire auquel sont soumis les forces internationales prépare avant tout à combattre l’ennemi, plutôt qu’à respecter et à protéger les populations locales. La formation que reçoivent les membres de ces forces doit donc aussi changer.

Jusqu’à récemment, tout dommage causé aux infrastructures et aux populations locales ou toute atteinte portée aux traditions culturelles de celles-ci était simplement considéré comme « dégât collatéral » – ou comme conséquence de la stratégie militaire. Pendant les premiers mois de la guerre en Irak, les forces internationales ne disposaient pas de conseillers pour les guider sur les traditions culturelles du pays. Les troupes étrangères étaient capables de s’orienter sur le territoire géographique, sans toutefois avoir aucune idée de la complexité du contexte local.

Comme cette ignorance totale de la culture locale a fini par entraver leur stratégie militaire en Irak et en Afghanistan, les responsables militaires ont finalement mis en place des « équipes de terrain humain » constituées de conseillers les aidant à comprendre la géographie culturelle des territoires en question. Aujourd’hui, des dizaines d’équipes spécialisées sont chargées d’évaluer les communautés locales sur le plan culturel. Par ailleurs, d’une manière générale, les forces internationales reçoivent désormais des « fiches de culture » résumant le contexte local.

Cependant cette approche est insatisfaisante car elle consiste à réduire l’apprentissage de la culture d’un pays à une brève liste d’éléments à retenir, ou à une tactique pour obtenir des renseignements pour mieux cibler l’ennemi.

Au lieu de cela, il faudrait une force internationale, plus modeste, mais dotée de meilleures connaissances. Elle se montrerait respectueuse de la culture du pays dans la prise de ses décisions, et sa mission serait essentiellement de protéger la population civile. A court terme, pour qu’un climat de confiance s’installe, l’établissement de véritables échanges culturels entre les forces internationales et l’Armée nationale afghane serait indispensable pour optimiser l’expérience de l’entraînement et l’apprentissage faite ensemble.

Avant leur déploiement, les membres des forces internationales devraient se familiariser avec la notion générale de culture. D’après les enseignements de l’anthropologie, le fait de comprendre d’abord sa propre culture, contribue à ce qu’on soit plus humble et qu’on soit moins enclin à juger les autres. La plupart des êtres humains sont « ethnocentriques » : ils considèrent leur culture comme « normale » et « correcte » et celle des autres leur semblent « immorales » ou « étranges ». Sans une appréciation et un respect
d’autres traditions culturelles, les troupes étrangères sont dépourvues des compétences indispensables pour comprendre pourquoi certaines personnes seraient prêtes à donner leur vie pour protéger un livre sacré.

Finalement, on peut difficilement imaginer qu’il n’y ait plus d’autres faux pas, sans changements majeurs dans l’ensemble de la stratégie des forces internationales en Afghanistan. Ces dernières doivent faire de la sensibilité culturelle une priorité, au sein d’une mission qui viserait à protéger les civiles et à s’attaquer aux causes fondamentales des problèmes, une mission qu’elles accompliraient en soutenant la gouvernance et la diplomatie, et non pas en faisant la guerre.

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* Lisa Schirch, directrice de 3P Human Security, est l’auteur du rapport « Designing a Comprehensive Peace Process in Afghanistan » (Concevoir un processus de paix complet en Afghanistan). Karim Merchant a vécu en Afghanistan pendant dix ans ; il est conseiller en stratégie de développement et gère des programmes pour des Organisations non gouvernementales internationales, pour les Nations Unies ainsi que pour le gouvernement afghan. Article écrit pour le Service de Presse de Common Ground (CGNews).

Source: Service de Presse de Common Ground (CGNews), 2 mars 2012, www.commongroundnews.org. Reproduction autorisée.