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Tribune parue dans Le Monde le 5 janvier 2024.

La percée de l’extrême droite côté israélien et la fin de l’ère de Mahmoud Abbas côté palestinien étaient annonciatrices de périls politiques, sécuritaires et économiques. Des décennies d’efforts, avec des accords signés, des milliards de dollars d’aide, des cohortes de diplomates, des centaines d’études, n’ont pas permis de régler la question palestinienne. Un demi-siècle d’occupation a contribué à façonner un désastre humanitaire, et les quinze dernières années n’ont fait que précipiter un cataclysme prévisible.

L’Union européenne a versé des milliards d’euros pour soutenir le développement de la Palestine, sans résultat. Le Hamas est devenu plus fort en semant la discorde et la misère. Il s’est nourri de la pauvreté des habitants de l’enclave, abandonnés au profit de l’extrémisme religieux et de la guerre. Israël a laissé faire. La rage qui grondait pourtant à Gaza depuis des années et le désespoir de sa population n’ont pas suffi à alerter.

L’isolement politique et géographique de Gaza a ruiné les perspectives de développement. Le blocus terrestre, aérien et maritime, imposé par Israël depuis 2007, et la destruction d’avoirs productifs lors des épisodes consécutifs de violence ont entraîné l’effondrement de l’économie gazaouie, qui s’est trouvée limitée au commerce, à l’agriculture et aux trafics.

La destruction de l’aéroport par Israël et le refus de construire un port ont achevé d’exclure Gaza du commerce mondial.Dépendante des aides internationales et des transferts de la diaspora, la population souffrait déjà de pénuries altérant le fonctionnement de l’économie. En juin 2023, le taux de chômage à Gaza s’élevait à 46,4 %, contre 34,8 % en 2006.

La croissance démographique a exacerbé la crise humanitaire. La densité de population, conjuguée au blocus, a fait de l’enclave une prison à ciel ouvert. Aujourd’hui, Gaza est un champ de ruines. Après plus de deux mois de guerre, la situation demeure critique avec une aide largement insuffisante pour couvrir les besoins de la population. Les risques en matière de santé et la détérioration des conditions humanitaires, couplés à l’impossibilité d’acheminer une aide suffisante, font craindre le pire.

Le manque à gagner d’une économie palestinienne asphyxiée, conjugué à la politique sécuritaire israélienne et, désormais, à la guerre à Gaza, revient cher. Pour Israël, les coûts s’élèveront à au moins 1,5 % du produit intérieur brut, avec le rappel de 360 000 réservistes (environ 10 % de la population active) qui ont quitté temporairement leur emploi. La guerre et la mobilisation ont déjà engendré un déclin de la demande et de l’offre, exacerbé par la forte diminution de la main-d’œuvre « importée », constituée de plus de 200 000 travailleurs palestiniens plus en mesure de se rendre sur le territoire israélien.

Depuis le début de la guerre, 2,46 millions de Palestiniens se retrouvent sous le seuil de pauvreté, contre 1,8 million avant le 7 octobre. La résolution du conflit israélo-palestinien représente une occasion stratégique sur le plan économique, mais aussi diplomatique, offrant des avantages incommensurables pour la région.

Israéliens et Palestiniens ont perdu confiance dans la communauté internationale et dans leurs gouvernements. Et pourtant, les solutions existent : la création de deux Etats indépendants est voulue par la quasi-totalité des pays du monde. La responsabilité de la gestion de Gaza au lendemain de la guerre pose une question complexe face à l’ampleur des dégâts et à la détresse de la population. Pourtant, une fois que les armes se seront tues, il faudra reconstruire et investir massivement.

D’un côté, dans les infrastructures : un port maritime, la reconstruction de l’aéroport, un chemin de fer de 40 kilomètres pour relier le sud et le nord de la bande de Gaza, une autre ligne de 70 kilomètres entre le nord de Gaza et le sud de la Cisjordanie, des usines de désalinisation, des centrales électriques… Il faudra aussi reconstruire des hôpitaux et des écoles. Une zone industrielle à la frontière entre Gaza et Israël pourrait employer des milliers de Palestiniens. En accord avec l’Egypte, l’exploitation des gisements de gaz et de pétrole, au large de l’enclave, pourrait constituer une manne financière importante. Un élargissement territorial de Gaza vers le Sinaï en échange de l’effacement d’une partie de la dette extérieure de l’Egypte, pourrait être négocié.

D’un autre côté, en matière de développement humain : 2 millions de Gazaouis sont traumatisés. Privés d’un Etat propre, ils auront besoin d’un soutien solide et continu pour se rétablir et devenir des citoyens plutôt que des réfugiés. Un revenu de base universel d’urgence pourrait leur être accordé, afin de garantir une autonomie économique. Pendant un an, la population pourrait bénéficier d’un revenu mensuel jusqu’à ce que les habitants se réintègrent de manière productive. Ce plan nécessiterait bien évidemment une aide internationale, nous en avons les moyens.

La jeunesse gazaouie doit jouer un rôle central pour construire une société résiliente, inclusive et durable. Un échange de compétences et de pratiques entre experts doit être organisé quand le temps de la reconstruction sera venu. Nous aurons besoin de cadres communs pour réunir enseignants, hommes d’affaires, médecins et leaders communautaires palestiniens et israéliens. La création de réseaux d’expertise interconnectés sera le gage d’une communauté capable de résister aux pressions des fanatiques.

L’aide humanitaire pratiquée depuis des décennies a montré ses limites. La mission de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) est devenue caduque. L’extrémisme vit de la pauvreté et se déploie par la corruption. Les dividendes de la paix en miroir des coûts de la guerre sont immenses, et la solution est gagnante pour tous. Après des années de paralysie, c’est en assistant à l’effondrement tragique d’un équilibre précaire que la France, l’Europe, les Etats-Unis et les pays arabes ont le devoir d’œuvrer pour la paix entre les Palestiniens et les Israéliens.

Ofer Bronchtein